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Le rôle des mots

Vendredi 2 août 2013 à 16:10

 #G

Aélys avançait à vive allure. Sûrement empressée, elle avait pris une certaine avance sur Sean. Il sentait en elle une énergie nouvelle. C'est ce qui lui avait probablement permis d'en finir avec cette femme d'une force incommensurable. Les pas du géant ralentissaient. Ses pieds, enfoncés dans la neige devinrent bientôt trop lourds. Sean devinait son malaise. Une gouttelette perlait au recoin de son œil. Un brouillard épais ; un frimas d'hiver rude rendait la brunette de moins en moins discernable à mesure qu'elle s'éloignait.

Son corps changea soudainement d'apparence. Sa vieillesse avait repris le dessus sur son sortilège et ironiquement, son sort était jeté. Les traits tombants et creusés, le front marqué de rides et le visage blanchi, les muscles amincis et un peu atrophiés, Sean, qui nageait maintenant dans sa toge trop large, n'eût pas le temps de s'en rendre compte. Il tomba lentement. D'abord un genou. Puis le corps tout entier, face dans la neige. L'argenté de son tissu confondu dans la pâleur des flocons amassés, la flamme, autrefois vivace du magicien vacillait.

Aélys avait elle senti ce changement d'énergie soudain, elle qui dorénavant, percevait les forces naturelles et magiques ?

Vendredi 2 août 2013 à 22:14

Aélys stoppa brusquement. Quelque chose n'allait pas. Elle se retourna pour voir que Sean avait disparu. Seuls ses pas dans la neige se distinguaient encore. Elle revint sur ses pas et découvrit son ami face contre terre, ou plutôt face contre neige. Elle accourut vers lui et le renversa. Ses traits s'étaient métamorphosés. Il avait pris plusieurs décennies d'un coup. Sa respiration était faible. Peut-être sa magie nouvelle permettrait de le guérir ? Elle superposa ses mains et croisa les doigts avant de poser sa paume sur le torse de son camarade. Elle se concentra et fit influer la magie, d'abord un peu, puis à grands flots. Elle ouvrit soudainement les yeux. Le flux magique ne voulait plus s'arrêter. Elle paniqua et tenta d'ôter ses mains, en vain. Doucement, l'écoulement la vidait de son énergie. Des étoiles apparurent devant ses yeux, qui se révulsèrent. Elle s'évanouit, et tomba mollement sur le mage argenté. Des flocons blancs se mirent à tomber, recouvrant progressivement les deux compagnons, tel un linceul immaculé.

Samedi 3 août 2013 à 2:17

 Ce jour là, deux êtres tombèrent. Les flocons de neige s'étaient posés sur eux comme un flocage solide en apparence. A des kilomètres de là, certains ressentirent le malaise. L'atmosphère s'était allégée. Comme si, soudainement, hypnotisé par les silhouettes minces, trop minces, l'air avait décidé de commencer un régime turbo. Minas, le mage d'or, le seul du monde, avait senti cette flamme énorme s'éteindre soudainement. Ce feu brûlant, cette énergie unique. Son humeur en fût grandement affectée. Il se sentait guilleret et joyeux, malgré l'échec cuisant qu'avait subi son sbire, qui, sans même oser fondre sur son ennemi, avait décidé de revenir bredouille, sans autre explication qu'une peur indescriptible, que seuls ses yeux avaient pu raconter.

Mais à cette heure-ci, les deux globules avaient oublié toute expression et le cancre, ayant manqué à son devoir, avait perdu la tête, sous la lame cinglante et royale de Minas lui-même. Lui qui, sans que personne n'eusse pu le savoir, ressentait toujours une chaleur intense lui masser le ventre et un léger orgasme lui mouiller ses bas, à chaque exécution.

Bientôt, les deux individus furent ramenés à la citadelle la plus proche – celle d'où ils étaient partis - et, l'homme le plus fort et le plus méprisable du monde, avait fait le déplacement. Posté sur l'estrade, le torse bombé, les deux coupables d'on ne sait quoi, seraient bientôt morts, exécutés par la main trompeuse de Minas, celui qui n'avait de Dieu que la cruauté et le non-sens. Faible de sa clémence, mais fort de son orgueil, il souhaitait attendre que les deux compagnons se soient réveillés, pour parader devant eux. Il était ce genre d'homme qui refuse toutes négociations et qui n'accepte que « oui » comme réponse. Mauvais perdant, mauvais homme, il n'y avait plus que l'impression de victoire et l'odeur de la mort, qui le faisait bander.

Sean et Aélys, se jetaient des regards complices mais désespérés. La situation, qui, certes, semblait moins pire, n'avait apparemment qu'une seule issue : la pire de toutes.

Samedi 3 août 2013 à 16:49

Les poignets attachés à des chaînes reliées au mur, Aélys s'était endormie d'un sommeil agité. Elle faisait toujours le même cauchemar, où elle n'arrivait pas à temps pour sauver son frère et le voyait mourir devant elle. Et ce rêve promettait de devenir réalité. Elle se réveilla brusquement. Ses traits étaient tirés, des cernes noires marquaient son visage d'une grande fatigue. Cependant, ses yeux de miel brillaient d'une détermination et d'une haine ardentes. Si le désespoir la gagnait lentement, elle ne pensait qu'à se libérer.
Elle n'osa parler qu'une fois qu'ils se retrouvèrent seuls.

"Sean, que va-t-il nous arriver ? Qu'allons-nous faire ?"

De chaudes larmes coulèrent le long de ses joues, creusant un sillon sur la saleté de sa peau.

"Je n'arriverai jamais à guérir Erwann... S'il meurt, je tuerai Minas de mes mains..."

Elle tira sauvagement sur ses chaînes, les faisant claquer bruyamment. La jeune fille supportait mal l'enfermement. Chaque minute de passée dans cette cellule attisait sa colère et sa peur. La peur de perdre son frère et celle de mourir ici.
On leur apporta de la nourriture et de l'eau. La jolie brune prit sa part en boisson mais ne toucha pas au potage, ni au pain sec. Elle ressassait ses pensées, cherchant comment sortir de cette horrible prison. Demain à l'aube, ils seraient amenés devant le roi Minas.

***

Le petit dragon, lui, s'était fait discret lorsque la garde royale était venue prélever les corps presque sans vie des deux amis. Il avait su se nourrir seul, et avait retrouvé facilement l'aura de sa maîtresse. Il voletait maintenant au dessus du château, non loin des geôles. Il avait attiré l'attention de tous les habitants, mais aussi et surtout celle du grand roi Minas. Celui-ci l'observait depuis maintenant une heure à travers une grande lunette. Il avait ordonné la capture du saurien, mais aucune des diverses tentatives n'avait abouti. Le mage d'or bouillonnait d'impatience. Il lui fallait ce dragon, à n'importe quel prix...

Samedi 3 août 2013 à 23:09

 #G

Le tintement des maillons sortit Sean de son apathie, qui n'avait pu répondre. Sa vieillesse avancée, qui marquait physiquement le début de sa fin, le rendait mou et fatigué. Les deux prisonniers se faisaient face dans cette geôle minuscule. Il aurait suffi que le géant lève la tête pour que leur front se touche. D'ailleurs, en gigotant, la jeune demoiselle avait manqué de peu la tête du vieillard.

Lorsque l'heure du dîner arriva, le tableau n'avait pas changé. Incapable de lever le bras, Sean ne put ne serait-ce que boire. Il se contentait d'attendre en pensant aux mots d'Aélys. Le seul moyen de sortir de cette prison, que le mage rabougris connaissait bien – il y avait enfermé bon nombre de brigands, de déserteurs, ou de marginaux – résidait dans un usage primitif de la magie. Minas ignorait certainement l'éveil de la prisonnière et la pauvre, trop néophyte ne saurait suivre ses consignes sans pratique. Sean devait relancer son corps. Récupérer du mana, qui, depuis longtemps, lui était devenu plus vital que l'oxygène.

Assoiffé, la gorge sèche, sans pouvoir choisir ses mots, il releva sa tête tremblante et éructait ses dernières paroles, comme des revenants sortis de sa gorge aux allures de tombeaux.

« Aélys... Aélys... Embrassez-moi...Embrassez-moi... Aélys... Il faut sortir Aélys... Embrassez-moi... »

La tête tenue difficilement droite sur ses épaules, Sean aurait effrayé n'importe qui. Vu de près, il ressemblait au Cri de Munsch. En pire.

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